Propos d’ouverture de Nancy Bouché au Congrès national de Sites & Cités à Figeac, le 16 mai 2019

29 Mai 2019

QUELQUES PROPOS D’OUVERTURE
PAR NANCY BOUCHÉ
PRÉSIDENTE HONORAIRE DU PÔLE NATIONAL DE LUTTE
CONTRE L’HABITAT INDIGNE

La redé­cou­verte des cen­tres et quartiers his­toriques après la con­stata­tion d’une déval­ori­sa­tion, voire d’une spi­rale du dépérisse­ment … pour­tant déjà dénon­cée dès 1986 (Com­mis­sari­at au Plan). Un pat­ri­moine urbain en déshérence. Un développe­ment de l’habitat indigne.

Toutes les poli­tiques publiques, nationales et locales y ont con­tribué, via la péri-urban­i­sa­tion, facil­itée, notam­ment, par le finance­ment du loge­ment neuf priv­ilégié et
l’accession sociale à la pro­priété sur du fonci­er libre, les effets per­vers de l’urbanisme com­mer­cial et de la guerre des prix…

Con­séquences poli­tiques : mon­tée du FN/RN et Gilets jaunes ?

Les quartiers anciens et leur spé­ci­ficité ont été qua­si oubliés depuis la décen­tral­i­sa­tion de l’aménagement de 1986, la fin du FAU qui avait suc­cédé aux ”villes moyennes”. Très peu présents dans les dif­férents con­trats de poli­tique de la ville et de l’ANRU. Les quartiers anciens sont con­sid­érés par la tech­nos­truc­ture comme «rich­es” et aisés grâce à la sup­posée «gen­tri­fi­ca­tion”, sans prob­lèmes soci­aux jus­ti­fi­ant l’intervention de la sol­i­dar­ité nationale…

Le réveil des ”poli­tiques” au niveau nation­al ou insti­tu­tion­nel est récent : PNRQAD – 2009–2016, pro­gramme de revi­tal­i­sa­tion des cen­tres-bourgs lancé fin 2014, man­i­feste de l’association Villes de France appelant à un «plan nation­al de revi­tal­i­sa­tion des cen­tres-villes” — mars 2016, assis­es de l’Association des petites villes de France – con­ven­tions spé­ci­fiques de la CDC 2016 — rap­port Dauge févri­er 2017 — le nou­veau pro­gramme ”cœur de ville” lancé en décem­bre 2017 et son appel à man­i­fes­ta­tion d’intérêt; chapitre de la loi ELAN con­sacré à la revi­tal­i­sa­tion des centres-villes.

Ces pro­grammes ont en com­mun d’appeler à des plans d’action, d’ouvrir des finance­ments, plus ou moins con­séquents selon les cas, pour l’ingénierie, par­fois à des bilans d’opérations, et d’être des pro­grammes ”fer­més” à une sélec­tion de collectivités.

« Depuis vingt ans, on fait à peu près le con­traire de ce qu’il faudrait pour activ­er les cen­tres-villes (…). Il faut remet­tre la main sur le cœur », pour­suit-il. Car selon lui « un ter­ri­toire ne peut vivre et être attrac­t­if sans un cen­tre dynamique ». « Les ter­ri­toires dont la pop­u­la­tion aug­mente sont ceux où le cœur est le plus attrac­t­if », observe-t-il encore, tout en prévenant : «Ne pour­suiv­ons pas ce rêve absolu de ne tra­vailler que sur le com­merce. » (man­i­feste de l’association Villes de France)
Aujourd’hui :
— enjeux d’habitat, de vacance, d’habitat indigne, de
copro­priétés anciennes…
— enjeux du com­merce… mais la ville n’est pas que commerce
— enjeux des ser­vices publics
— enjeux de circulation
— enjeux du tourisme pour certaines…
Mais pas plus le seul com­merce que le seul tourisme ne peu­vent tenir lieu de pro­jet de ville…
Quels habi­tants et quel pat­ri­moine urbain pour y vivre ?

Les freins à la revi­tal­i­sa­tion tant pour l’habitat que pour les com­merces ou divers services :
— la mor­pholo­gie urbaine et ses contraintes
— les struc­tures de propriété
— l’état d’insalubrité, de péril et d’abandon d’un fort pour­cent­age d’immeubles — vacants
— les coûts de l’intervention en den­telle dans du bâti existant
— l’évolution des modes de vie…

Les out­ils tra­di­tion­nels de l’action publique sont con­nus, mais sont-ils suffisants ?

Les out­ils d’action et d’aménagement :
– l’incitatif – il est financier – le coerci­tif, il est juridique : le champ des oblig­a­tions de faire, de la DUP et leurs
lim­ites. Un bon out­il doit mari­er les deux approches…

  • les out­ils de pro­gramme et de plan d’action, axés sur l’habitat :
    • les OPAH et OPAH-RU , essen­tielle­ment inci­ta­tives sans effets sur les struc­tures de pro­priété, sauf excep­tion lorsqu’on y intè­gre des DUP
  • les out­ils coerci­tifs axés sur l’habitat (ou non si DUP pour autre objet)
    • les opéra­tions de restau­ra­tion immobilière
    • les DUP à la par­celle, à l’immeuble, en expropriation
    • les opéra­tions de RHI
  • les nou­velles opéra­tions de revi­tal­i­sa­tion du ter­ri­toire (ORT) : un con­trat inté­gra­teur présen­tant les car­ac­téris­tiques d’une l’OPAH-RU avec un impor­tant volet relatif aux exploita­tions commerciales…
    — les cadres de travail
  • la con­ces­sion d’aménagement – avec ou sans ZAC
  • la qua­si régie/SPL
  • les presta­tions de service
  • le man­dat d’aménagement

Les lim­ites et les man­ques de ces out­ils d’aménagement dans la réal­ité opérationnelle

Ces out­ils de pro­gram­ma­tion et de finance­ment que sont, notam­ment, les OPAh et les ORT – inscrites au CCH et non au CU — n’ont guère évolué dans leur dimen­sion juridique et opéra­tionnelle depuis les années 1975 — ils n’ont pas d’effets de droit sur la struc­ture des pro­priétés… alors que per­durent ou se dévelop­pent des sit­u­a­tions difficiles :
— com­ment réor­gan­is­er des pro­priétés, pour retrou­ver hab­it­abil­ité mais aus­si de la sécu­rité, de l’hygiène, des dessertes ou des escaliers ?
— com­ment aider les petites copro­priétés sous admin­istrées, issues de la divi­sion des mono­pro­priétés famil­iales, encour­agées par des mécan­ismes fiscaux ?
— com­ment lut­ter con­tre les divi­sions loca­tives anar­chiques de pavil­lons, maisons, loge­ments quand la loi les encourage ?
— com­ment join­dre des immeubles à petits gabar­its pour trou­ver des surfaces ?
— com­ment gér­er les RDC com­mer­ci­aux et déblo­quer les loge­ments du dessus ?
— quel statut pour les cœurs d’ilots ayant fait l’objet de cure­tage sous DUP ?
— quels pro­duits de sor­tie lorsque des immeubles ont été acquis sous DUP et qu’aucun décret ne per­met leur ces­sion à d’autres que la col­lec­tiv­ité publique ou un étab­lisse­ment pub­lic ? (cas en ORI, expro­pri­a­tion de droit com­mun, biens en état man­i­feste d’abandon). Seule la ZAC per­met à ces­sion aux tiers…
— com­ment mobilis­er des bailleurs soci­aux pour inter­venir dans ces quartiers, alors que pèsent sur eux de fortes con­traintes finan­cières et que le regroupe­ment à marche for­cée des organ­ismes HLM crée des sit­u­a­tions monop­o­lis­tiques dans les régions…

Acqui­si­tion publique, ini­tia­tives privées ?

Les opéra­tions engagées aujourd’hui reposent large­ment sur des acqui­si­tions publiques (à l’amiable ou for­cées) qui sont d’un coût élevé, dans un con­texte général de lim­i­ta­tion des dépens­es publiques.
Peu d’évolutions dans les modes de faire ; aucune mod­erni­sa­tion des out­ils d’aménagement n’a été opérée depuis 1976… sauf à la marge… On a tra­vail­lé sur les grandes copro­priétés, les grands pro­jets urbains. Les nova­tions en matière d’aménagement ne visent ni ne sont adap­tées au tra­vail en den­telle dans les quartiers historiques…

Com­ment organ­is­er et inciter des groupe­ments de pro­prié­taires pour être à l’initiative de travaux d’intérêt col­lec­tif ? Voire être l’auteur de pro­jets de détail, encadrés par la col­lec­tiv­ité ? On a oublié les AFU, notam­ment les AFUA… L’AFU n’est pas un mécan­isme fis­cal, mais un out­il d’aménagement…

Sur tous ces sujets, l’ANAH s’est mobil­isée, a fait tra­vailler des experts, pour ten­ter de répon­dre à ces sit­u­a­tions dont elle a une bonne con­nais­sance… mais cela n’a tou­jours pas débouché sur des dis­po­si­tions lég­isla­tives… alors que la loi ELAN a intro­duit tout un chapitre sur la revi­tal­i­sa­tion des cen­tres villes.

La ville et ses pro­jets : quelle ingénierie, quels intervenants ?

– penser un pro­jet pour la ville, avec quels appuis ? méthodologiques, tech­niques, financiers
— villes moyennes ou grandes et petites villes : quels ser­vices, quels inter­venants pos­si­bles ? L’agglomération est-elle le maître d’ouvrage per­ti­nent ? mais à quelles échelles et avec quelle gouvernance ?
— quelle ingénierie de mise en œuvre ? Quels pro­fils pro­fes­sion­nels ? Il y a des déserts…
— quels inter­venants dans l’aménagement, dans l’habitat, pour le com­merce, dans la con­duite de pro­jet, dans l’aménagement de détail ?

  • qua­si absence des bailleurs soci­aux … les regroupe­ments post ELAN ont crée des empires et des monopoles…
  • qua­si absence de SEM dans cer­tains départe­ments ou villes, SEM inadap­tées dans leur méti­er… les équili­bres financiers

– quels out­ils d’aménagement ? ZAC, hors de pro­pos, con­ces­sion inadap­tée aux petites villes; presta­tions et man­dat d’aménagement implique la présence de prestataires com­pé­tents et d’une struc­ture de tra­vail organisée…

Il y a encore place pour met­tre en œuvre des pro­jets d’envergure pour asseoir, si cela est encore pos­si­ble, des pro­jets durables de revi­tal­i­sa­tion des cen­tres urbains et quartiers historiques…

Nan­cy Bouché
mai 2019

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